Écrivain, peintre, metteur en scène

La Beauté in fabula

Exposition collective.
Palais des Papes, Avignon, 27 mai - 1er octobre 2000.

« Le Palais des Papes est transformé jusqu’au 1er octobre en labyrinthe amoureux où art contemporain et oeuvres anciennes expriment les émotions et les tourments de l’âme à la poursuite de la beauté. Voyage initiatique en vingt-deux salles, ponctuées de passerelles, escaliers, passages étroits, coins et recoins, salles sombres ou baignées de lumière.

Il était une fois le Palais des Papes, une fable inspirée de l’amour de Pétrarque pour Laure et la réapparition d’un mot de vocabulaire : la beauté, presque disparu au XXe siècle chez les artistes et les critiques. Une histoire qui pourrait être bien compliquée si la magie des lieux et la découverte organique du palais mêlée aux méandres du récit ne réussissaient pas à nourrir l’imaginaire et à solliciter sans cesse les sens.

Dès lors, il n’y a plus qu’à se laisser porter. Au début du parcours, sur un tableau d’Holbein (vers 1520) qui représente un jeune homme emporté par un cheval fou, on peut lire " E cosi desio me mena ", c’est ainsi que le désir me conduit : invitation donc au plaisir. La quête de la beauté, des beautés, devrait-on dire, peut commencer. Et il n’est nul besoin de connaître les déboires de Pétrarque pour ressentir la confusion, les emportements, les égarements, les joies, le désir, l’éveil spirituel… tant l’exposition est ludique, olfactive, visuelle et auditive. La beauté serait-elle à elle seule, cette promesse de bonheur dont parle Guy Debord ?

Tour à tour, on ressent de l’effroi face à l’installation vidéo de Bill Viola dans la Grande Chapelle où l’homme finit par disparaître, terrassé par des éléments opposés, l’eau et le feu. On traverse des paysages cosmiques d’hier avec Fan Kuan et son paysage d’hiver avec temple et voyageurs (fin Xe-début XIe siècle) et d’aujourd’hui avec Jeff Wall et The Smoker (1986). On est envoûté par la voix off de la Box de James Coleman ou l’environnement musical conçu par Richie " Plastikman " Hawtin. On monte, on descend dans un dédale de pièces, aspiré par des senteurs qui mènent à la Tour de la Gache dont les murs sont tapissés de feuilles de laurier, oeuvre de Giuseppe Penone. On se sent bien fragile face au monstre androphage dite la Tarasque de Noves (II-Ie siècle avant J.C. (?)), le Vyala (XIIIe siècle) ou les colonnes-pieds de Luciano Fabro (1971 à 2000). Sur une passerelle, au milieu de nulle part, on assiste à un curieux théâtre des ombres de Christian Boltanski, pour être ensuite, à quelques salles de là, happé par une circonvolution nébuleuse de jaune d’Anish Kapoor qui marque la fin des épreuves et le début de la beauté charnelle avec l’installation suspendue d’Annette Messager dans la Chambre du Parement, Eux et nous, nous et eux, où prolifèrent des animaux en peluches, des fétiches de toutes sortes et des miroirs dans lesquels le visiteur se réfléchit et peut se projeter en se glissant entre les fils tortueux de ce simulacre de parade sociale. Des groupes de sculptures et dessins érotiques agrémentent cette quête : Nymphe et Satyre (bronze du XVIIIe siècle), Radha et Krishna enlacés (pigment sur papier de 1775-1780). Dans deux petites salles toutes sombres, s’articulent joyeusement sur le sol deux installations qui semblent si fragiles : deux petits jardins d’Eden de Sarah Sze s’ébrouent dans un foisonnement de minuscules objets, de fontaines, de dédales de tuyaux, de rampes qui rentrent dans le sol et ressortent quelques centimètres plus loin, dissimulés sous des plumes, des projections d’hommes nus, des jeux de cartes… Séduction encore avec les photographies peintes de Pierre et Gilles, Radha et Krishna.

Mais le temps s’écoule et des changements vont s’opérer dans ce séjour de félicité, annoncés par l’installation de Rebecca Horn, La Lune dans le lac miroir au plein coeur de la perle, aux mécanismes parfaits. On s’arrête aussi devant une beauté d’acier (de 12,2m de haut) recouverte de fleurs (75 000 !) : la tête mi-cheval, mi-dragon de Jeff Koons qui n’en finit pas d’être baroque… ou bien kitsch !

La dernière partie de l’exposition rend compte de la beauté pure, née de la méditation qui aboutit à un éveil spirituel, la beauté sublimée en quelque sorte, comme en témoignent le cibachrome couleur de Nan Goldin (Fatima Candles, 1998) et la série de sept gouaches sur papier provenant du Rajastan (L’Eveil de Kundalini, XVIIIe siècle).

C’est dans ce face à face entre les oeuvres passées et les oeuvres d’aujourd’hui qui construisent une vision globale du monde par-delà les siècles et les cultures, que réside peut-être tout simplement la beauté de l’art, au-delà de toutes les spéculations esthético-philosophiques - l’idée du beau n’étant en rien définitive - ? »

Muriel Carbonnet